« On peut comparer les sens de l’homme à un portail. D’une certaine façon, ils en sont le contraire absolu: on ferme celui-ci en cas d’attaque et on le garde grand ouvert lorsque rien ne menace; les sens, au contraire, se replient, s’affaiblissent quand tout est calme et s’ouvrent grand en cas de danger. Le bonheur est aussi un danger pour les sens; lorsque l’homme ressent du bonheur, ils sont soumis à rude épreuve, ils craquent, menacent de rompre, de voler en éclats. Les sens, hélas, ne sont pas toujours à même de distinguer parmi les menaces celle du bonheur, qui répond à un désir. Il n’est pas donné à tous de pouvoir supporter le bonheur. »
« Tu vois, maintenant que j’y pense, petit père: ma vie ressemble à une nase de pêcheur. Au début, quand tu y pénètres, ça a l’air très large, sans limites, dirait-on. Peu à peu, l’espace rétrécit. Au fur et à mesure que tu t’y enfonces, tu la vois rapetisser et, à la fin, tu t’aperçois qu’elle est assez nettement délimitée, à gauche, à droite, en haut et en bas. Plus tu vis, plus la nasse rétrécit. »
« Il faut un apprentissage pour tout. Rares sont les gens qui savent mourir, mais tant qu’il s’agit de vivre, chacun est un puits de science. Tous sont prêts à te donner des leçons. Mais voilà, quand il s’agit de mourir, il ne savent pas. J’ai vu toutes sortes de morts, mais pas une seule qui fait envie. »
« A quoi sert la vie d’un arbre? A pousser, pour pourrir ensuite? Non. Elle sert à perpétrer l’espèce des arbres. A quoi sert l’espèce des arbres? Celle des animaux et des oiseaux, celle des poissons? A quoi bon la vie des insectes et des hommes, s’ils ne naissent que pour mourir? Personne ne peut répondre à ces questions sinon en affirmant que le monde a une finalité. Alors, nous comprendrons tout. Tout ce qui existe, inanimé ou vivant, tout ce qui rampe, gît, nage, vole, court ou saute est là pour que le monde parvienne un jour à son but. Ta vie, elle aussi, quelle qu’elle soit, n’est qu’un maillon infirme de la chaîne des vies qui tend vers le But, relie le Commencement et la Fin. Peut-être le but est-il déjà tout proche. Peut-être pas. Peut-être que demain, nous verrons la fin du monde et commencement d’un monde nouveau. Peut-être que non. Tu te demanderas: « Où est Dieu? je ne le vois pas. » Regarde autour de toi et tu verras le mouvement. Le vent soufflera, pliant les jasmins, les nuages courront dans le ciel en changeant de forme, l’eau des rivières se cabrera en se précipitant vers la mer. Partout se manifestera la patience infinie. Tu devras l’apprendre en regardant le gâte-bois ronger un tronc, la source se frayer un chemin vers la surface de la terre, l’oiseau rester si longtemps dans l’œuf étroit, étouffant. Il ne faut pas penser à Dieu. Il faut regarder le monde les yeux ouverts et croire en Dieu car tu ne peux pas faire autrement en voyant cette diversité. »
Saulius T.Kondrotas. L’ombre du serpent.1991,ISBN:2-226-05351-4.
tentations !
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Bingo! Et le meilleur moyen de se délivrer de la tentation…
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