Amin Maalouf – Origines

Jusqu’ici, Amin Maalouf avait seulement effleuré l’histoire véridique de sa propre famille ; de Léon l’Africain au Périple de Baldassare, en passant par Le Rocher de Tanios ou Les Echelles du Levant, tel ou tel épisode, plus ou moins transfiguré, de l’aventure des siens se trouvait ainsi exploré. Mais jamais il ne s’était décidé à en faire une relation exacte et méticuleuse. Avec ce livre, c’est l’inverse : au sommet de son art, serein, avide de son propre passé, il plonge dans sa généalogie, et cette immersion fascine par sa radicalité, par son ampleur. Car Amin Maalouf précise d’emblée que sa famille est sa seule patrie. Qu’il se sent l’obligé de ses origines et que celles-ci, plus que toute autre détermination, disent la vérité de son être. Chez les siens, en effet, on naît naturellement nomade, cosmopolite, polyglotte ; et c’est la famille, le lignage sacré, qui fonde l’identité diasporique des êtres qui, comme lui, vont, depuis le Liban, essaimer de par le monde. L’auteur, piqué au jeu de son enquête, se plait alors à revisiter les secrets, les amours et les légendes de sa tribu…

« Je n’aime pas le mot ‘racines’, et l’image encore moins. Les racines s’enfouissent dans le sol, se contorsionnent dans la boue, s’épanouissent dans les ténèbres; elles retiennent l’arbre captif dès la naissance, et le nourrissent au prix d’un chantage: « Tu te libères, tu meurs! » Les arbres doivent se résigner, ils ont besoin de leurs racines; les hommes pas. Nous respirons la lumière, nous convoitons le ciel, et quand nous nous enfonçons dans la terre, c’est pour pourrir. La sève du sol natal ne remonte pas par nos pieds vers la tête, nos pieds ne servent qu’à marcher. Pour nous, seules importent les routes. Ce sont elles qui nous convoitent -de la pauvreté à la richesse ou à une autre pauvreté, de la servitude à la liberté ou à la mort violente. Elles nous promettent, elles nous portent, nous poussent, puis nous abandonnent. Alors nous crevons, comme nous étions nés, au bord d’une route que nous n’avions pas choisie.  À l’opposé des arbres, les routes n’émergent pas du sol au hasard des semences. Comme nous, elles ont une origine. Origine illusoire, puisqu’une route n’a jamais de véritable commencement; avant le premier tournant,là derrière, il y avait déjà un tournant, et encore un autre. Origine insaisissable, puisqu’à chaque croisement se sont rejointes d’autres routes, qui venaient d’autres origines. S’il fallait prendre en compte tous ces confluents, on embrasserait cent fois la terre. »

« Je suis d’une tribu qui nomadise depuis toujours dans un désert aux dimensions du monde. Nos pays sont des oasis que nous quittons quand la source s’assèche, nos maisons sont des tentes en costume de pierre, nos nationalités sont affaire de dates, ou de bateaux. Seul nous relie les une aux autres, par-delà les générations, par-delà les mers, par-delà le Babel des langues, le bruissement d’un nom. Pour patrie, un patronyme? oui, c’est ainsi! Et pour foi, une antique fidélité! »

« Mais il est des relations d’amour qui fonctionnent ainsi, sur le mode du manque et de l’éloignement. Tant qu’on est ailleurs, on peut maudire la séparation et vivre dans l’idée qu’il suffirait de se rejoindre. Une dois sur place, les yeux se dessillent: la distance préservait encore l’amour, si l’on abolit la distance on prend le risque d’abolir l’amour. En raison de cela, depuis de longues années je cultive l’éloignement comme on arrose à sa fenêtre des fleurs tristes. »

« L’amour de la patrie n’est qu’une faiblesse de caractère; aie le courage de partir, et tu trouveras une autre famille pour remplacer la tienne. Et ne me dis surtout pas qu’il est dans la nature des choses que l’on demeurent sa vie entière à l’endroit où l’on a vu le jour. Observe l’eau! Ne vois-tu pas comme elle est fraîche et belle lorsqu’elle court vers l’horizon, et comme elle devient poisseuse lorsqu’elle stagne? »

« Sous doute n’était-il pas fait pour émigrer, après tout…L’émigrant doit être prêt à avaler chaque jour sa ration de vexations, il doit accepter que la vie le tutoie, qu’elle lui tapote sur l’épaule et sur le ventre avec une familiarité excessive »

« Nous avons constamment deux visages, l’un pour singer nos ancêtres, l’autre pour singer l’Occident. »

« C’est pour célébrer leurs victoires que les nations de la terre organisent des fêtes, mais nos fêtes à nous ne sont que moquerie.Qu’y-t-il à célébrer, dites-moi? Quelle riche province avons-nous conquise? Et en quoi avons-nous amélioré la vie des nôtres? Un sultan a abdiqué, un autre est monté sur le trône, mais le pouvoir s’exerce toujours de la même manière. Nous sommes une nations volage, que le vent des passions entraine par-ci, par-là… »

« On s’est abondamment moqué de lui parce qu’il avait fait passer sa vie avant sa foi; en y repensant à tête reposée, on ne peut lui donner complètement tort: les doctrines ont pour vocation de servir l’homme, et non l’inverse; bien sûr, on peut respecter ceux qui se sacrifient pour un idéal, mais il faut reconnaître aussi que trop de gens se sont sacrifiés tout au long de l’Histoire pour de mauvaises raisons. Béni soit celui qui a choisi de vivre! Oui, béni soit l’instinct humain de Sabbataï »

« Nous sommes des générations arrogantes qui sont persuadées qu’un bonheur durable leur a été promis à la naissance–promis? mais par qui donc? »

« Quand j’ai vraiment cherché à savoir, j’ai su. La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter les voiles. »

« La présence des vieilles personnes est un trésor que nous gaspillons en cajoleries et boniments, puis nous restons à jamais sur notre faim; derrière nous des routes imprécises, qui se dessinent un court moment, puis se perdent dans la poussière. »

Origines [9782253115946] – 110,00Dhs : LivreMoi.ma, Votre Librairie au Maroc.

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18 commentaires

  1. Je suis une inconditionnelle de Amin Maalouf, et c’est coincidence heureuse parce que le premier paragraphe que vous citez est celui que je me plais souvent à faire partager aux amis. J’aurais aimé le rencontrer car il vit une partie de l’année à l’Ile d’Yeu, d’où j’habite pas très loin, mais jusqu’à présent ça n’a pas pu se faire. L’écrire de Mr Maalouf est tellement limpide, on se plonge dans cette évocation familiale avec beaucoup d’émotion.
    Vous me redonnez l’envie de le sortir de mes étagères et de m’y replonger,

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    • J’ai découvert moi aussi A.Maalouf à travers le passage sur racines/origines qu’une amie m’a envoyé! C’est un véritable coup de coeur que j’ai eu pour ce livre, et en l’achevant j’avais même envie de partir en quête de mes aïeuls et bisaïeuls:)) Merci Marie pour ta visite et bon dimanche

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  2. […] latrace Amin Maalouf, Khalil Gibran amour, connaissance de soi, couple, hymne à la vie, joie, liban Laisser un commentaire Le prophète avait été , et demeurait, un extraordinaire phénomène d’édition, et qu’après avoir conquis les États-Unis, il commençait à connaitre, en France, et ailleurs, une vogue similaire. Cette vogue ne devait pas se démentir. Elle continue aujourd’hui de plus belle, et paraît même s’amplifier. Je ne connaît pas d’autre exemple, dans l’histoire de la littérature, d’un livre qui ait acquis une telle notoriété, qui soit devenu une petite bible pour d’innombrables lecteurs, et qui continue cependant à circuler en marge, comme sous les manteaux, faudrait-il dire, mais sous le manteau quand même, comme si Gibran était toujours un écrivain secret, un écrivain honteux, un écrivain maudit… Amin Maalouf […]

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