Miseria – Aïcha Ech-Channa

« Moi, j’ai peur de Aïcha Echa-Channa, non pas parce qu’elle a une autorité sur moi, mais justement parce qu’elle n’en a aucune. J’ai peur de cette femme parce qu’elle ne parle que pour dire la vérité, et j’ai réalisé que de nos jours, nous vivons dans un Maroc où peu de gens gagnent leur vie en disant la vérité. Nous passons notre temps à nous dire tout, sauf nos vérités. J’ai peur de Aïcha Echa-Channa parce qu’en lisant ce livre, je me suis rendue compte que quand je parle ou j’écris, mon seul souci est de séduire. Séduire, c’est travestir les vérités, les polir, les lisser, les fignoler pour créer chez mon auditeur ou mon lecteur une sorte d’euphorie. Je veux que mon interlocuteur m’associe à un état de bonheur, comme dune drogue. On me trouve sympathique, relax,…parce que je ne me frotte jamais trop à la vérité. Et Aïcha Echa-Channa n’est ni sympathique, ni relax, ni en tant que personne ni en tant qu’écrivain. La première fois que je l’ai rencontrée dans une salle de conférences à Casablanca, elle est venue vers moi avec un sourire généreux et m’a dit :  » j’aimerai avoir votre talent ». Vous avez, Madame Ech-Chenna, plus que le talent de manipuler les mots, qui est l’unique harfa où j’excelle. Vous maîtrisez un art âpre et difficile et qui ne vous rend ni riche ni adulée, celui du parler vrai. Un art qui fut une tradition au Maroc, celle des soufis et des saints qui illuminent notre histoire. Un art qui ne rapporte plus rien à notre jeune bourse de valeurs.
Aïcha Echa-channa dérange, énerve, elle trouble notre sérénité, elle détruit notre joli Maroc plein de solidarité et d’amour du voisin chanté par les prospectus du ministère du Tourisme. Aïcha Ech-Channa nous bouscule dans un Maroc de vérités insupportable que nous essayons soigneusement d’éluder, d’éviter. Le Maroc des enfants abandonnées par des pères indignes, je dis bien des pères d’abord! Ils sont indignes parce qu’ils profitent des archaïsmes d’une loi qui les délestent de leur responsabilité envers les femmes qu’ils engrossent. Celui des petites bonnes des beaux quartiers qui sont violées, abusées, meurtries, blessés, utilisées et jetées. Mais le Maroc insoutenable; inimaginable, c’est celui où les parents n’aiment pas leurs enfants, les placent dans des familles pour de l’argent, ou les vendent et les utilisent dans toutes sortes de trafics. Non, nous ne voulons pas entendre parler de ce Maroc de l’inceste où les pères violent leurs petites filles. Aïcha Ech-Channa me fait peur parce que cette lecture m’a forcée à rencontrer Ouarda, la bonne de 16 ans, mystérieusement amputée d’une jambe, Mounia dont le corps porte des traces de coups et qui répète :  » Moi, je n’ai personne, je ne suis la fille de personne ». Et Mohammed, le petit garçon de trois ou quatre ans, beau, avec de belles joues. C’est sûrement un enfant de la campagne qui est perdu et Brahim-Robert, le petit Malien de 11 ans, abandonné dans une ruelle marocaine et Farida, et Aïcha et Si Abbès…
J’ai honte Madame Ech-Channa, de réaliser qu’entre votre Maroc et le mien, il n’y a pas de ponts, ou si peu. La publication de ce livre en est un, car permettez-moi de vous dire Madame, qu’après vous avoir lue, je ne me sens plus la même. Comme les descentes en enfer et les traversées des désert, la lecture de votre livre, au style chaotique et inhabituel, tatoue le lecteur et lui laisse des traces. » Fatima Mernissi

Aïcha Ech-Chenna est née le 14 août 1941 dans la Nouvelle Médina de Casablanca.En décembre 2010, cela fera 49 ans qu’Aïcha Ech-Channa se consacre et se bat pour les plus déshérités de la société casablancaise. Elle est présidente et membre dondateur de l’association Solidarité Féminine qui prend en charge les mères célibataires. Madame Ech-Channa montre le chemin: elle parle, elle dit vrai, elle bouge pour que ça change, elle est contagieuse et elle n’est plus seule.

À voir: les combats pour aider son prochain
 

Aïcha Ech-Channa, Miseria| Le Fennec| 2000| ISBN  9789981838444 | 206 pages |

2 commentaires

  1. […] Elle concerne le pauvre, mais aussi le riche, l’homme, mais aussi la femme, la jeune fille —surtout la jeune fille—, le citadin mais aussi le paysan, le nomade, le lettré mais aussi l’analphabète. C’est un […]

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