« De grands élans les emportaient. Parfois, pendant des heures entières, pendant des journées, une envie frénétique d’être riches, tout de suite, immensément, à jamais, s’emparait d’eux, ne les lâchait plus. C’était un désir fou, maladif, oppressant, qui semblait gouverner le moindre de leurs gestes. La fortune devenait leur opium. Ils s’en grisaient. Ils se livraient sans retenue aux délires de l’imaginaire. Partout où ils allaient, ils n’étaient plus attentifs qu’à l’argent. Ils avaient des cauchemars de millions de joyaux…Un jour, même, ils rêvèrent de voler. Ils s’imaginèrent longuement, vêtus de noir, une minuscule lampe électrique à la main, une pince, un diamant de vitrier dans leur poche, pénétrant, la nuit tombée, dans un immeuble, gagnant les caves, forçant la serrure primaire d’un monte-charge, atteignant les cuisines. Ce serait l’appartement d’un diplomate en mission, d’un financier véreux aux goûts néanmoins parfaits, d’un grand dilettante, d’un amateur éclairé. Ils en connaîtraient les moindres recoins. Ils sauraient où trouver la petite vierge du douzième, le panneau ovale de Sebastiano del Piombo, le lavis de Fragonard, les deux petits Renoir, le petit Boudin, l’Atlan, le Max Ernst, le de Staël, les monnaies, les boîtes à musique, les drageoirs, les pièces d’argenterie, les faïences de Delft. Leurs gestes seraient précis et décidés, comme s’ils les avaient maintes fois répétés. Ils se déplaceraient sans hâte, sûrs d’eux, efficaces, imperturbables, flegmatiques, Arsène Lupin des temps modernes. Pas un muscle de leur visage ne tressaillirait. Une à une, les vitrines seraient fracturées ; une à une, les toiles décrochées du mur, déclouées de leurs cadres. » Les choses —Georges Perec
Escros mais pas trop
« De grands élans les emportaient. Parfois, pendant des heures entières, pendant des journées, une envie frénétique d’être riches, tout de suite, immensément, à jamais, s’emparait d’eux, ne les lâchait plus. C’était un désir fou, maladif, oppressant, qui semblait gouverner le moindre de leurs gestes. La fortune devenait leur opium. Ils s’en grisaient. Ils se livraient sans retenue aux délires de l’imaginaire. Partout où ils allaient, ils n’étaient plus attentifs qu’à l’argent. Ils avaient des cauchemars de millions de joyaux…Un jour, même, ils rêvèrent de voler. Ils s’imaginèrent longuement, vêtus de noir, une minuscule lampe électrique à la main, une pince, un diamant de vitrier dans leur poche, pénétrant, la nuit tombée, dans un immeuble, gagnant les caves, forçant la serrure primaire d’un monte-charge, atteignant les cuisines. Ce serait l’appartement d’un diplomate en mission, d’un financier véreux aux goûts néanmoins parfaits, d’un grand dilettante, d’un amateur éclairé. Ils en connaîtraient les moindres recoins. Ils sauraient où trouver la petite vierge du douzième, le panneau ovale de Sebastiano del Piombo, le lavis de Fragonard, les deux petits Renoir, le petit Boudin, l’Atlan, le Max Ernst, le de Staël, les monnaies, les boîtes à musique, les drageoirs, les pièces d’argenterie, les faïences de Delft. Leurs gestes seraient précis et décidés, comme s’ils les avaient maintes fois répétés. Ils se déplaceraient sans hâte, sûrs d’eux, efficaces, imperturbables, flegmatiques, Arsène Lupin des temps modernes. Pas un muscle de leur visage ne tressaillirait. Une à une, les vitrines seraient fracturées ; une à une, les toiles décrochées du mur, déclouées de leurs cadres. » Les choses —Georges Perec
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[…] choses-là ne sont pas faciles, au contraire. Pour ce jeune couple, qui n’était pas riche, mais qui désirait l’être, simplement parce qu’il n’était pas pauvre, il n’existait pas […]
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