L’élégance du hérisson est l’histoire d’une rencontre inattendue : celle de Renée Michel, concierge parisienne discrète et solitaire, de Paloma Josse, petite fille de 11 ans, redoutablement intelligente et suicidaire, et de l’énigmatique monsieur Kakuro Ozu .
Je m’appelle Renée, j’ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j’ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l’image que l’on se fait des concierges qu’il ne viendrait à l’idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.
Je m’appelle Paloma, j’ai douze ans, j’habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c’est le bocal à poissons, la vacuité et l’ineptie de l’existence adulte. Comment est-ce que je le sais? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C’est pour ça que j’ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai.
Passages choisis
« Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique […] Les hommes vivent dans un monde où ce sont les mots et non les actes qui ont du pouvoir, où la compétence ultime, c’est la maîtrise du langage. C’est terrible, parce que, au fond, nous sommes des primates programmés pour manger, dormir, nous reproduire, conquérir et sécuriser notre territoire et que les plus doués pour ça, les plus animaux d’entre nous, se font toujours avoir par les autres, ceux qui parlent bien alors qu’ils seraient incapables de défendre leur jardin, de ramener un lapin pour le dîner ou de procréer correctement. Les hommes vivent dans un monde où ce sont les faibles qui dominent. C’est une injure terrible à notre nature animale, un genre de perversion, de contradiction profonde. »
« Je dois dire que M. Arthens, c’est un vrai méchant. Papa, lui, c’est juste un gamin qui joue à la grande personne pas marrante. Mais M. Arthens… un méchant premier choix. Quand je dis méchant, je ne veux pas dire malveillant, cruel ou despotique, quoique ce soit un peu ça aussi. Non, quand je dis « c’est un vrai méchant », je veux dire que c’est un homme qui a tellement renié tout ce qu’il peut y avoir de bon en lui qu’on dirait un cadavre alors qu’il est encore vivant. Parce que les vrais méchants, ils détestent tout le monde, c’est sûr, mais surtout eux-mêmes. Vous ne le sentez pas, vous, quand quelqu’un a la haine de soi ? Ça le conduit à devenir mort tout en étant vivant, à anesthésier les mauvais sentiments mais aussi les bons pour ne pas ressentir la nausée d’être soi. «
« Moi, j’ai compris très tôt qu’une vie, ça passe en un rien de temps, en regardant les adultes autour de moi, si pressés, si stressés par l’échéance, si avides de maintenant pour ne pas penser à demain… Mais si on redoute le lendemain, c’est parce qu’on ne sait pas construire le présent et quand on ne sait pas construire le présent, on se raconte qu’on le pourra demain et c’est fichu parce que demain finit toujours par devenir aujourd’hui, vous voyez ? Donc il ne faut surtout pas oublier tout ça. Il faut vivre avec cette certitude que vous vieillirons et que ça ne sera pas beau, pas bon, pas gai. Et se dire que c’est maintenant qui importe : construire, maintenant, quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Toujours avoir en tête la maison de retraite pour se dépasser chaque jour, le rendre impérissable. Gravir pas à pas son Everest à soi et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d’éternité. Le futur, ça sert à ça : à construire le présent avec des vrais projets de vivants. »
« Lorsque la maladie entre dans un foyer, elle ne s’empare pas seulement d’un corps mais tisse entre les cœurs une sombre toile où s’ensevelit l’espoir. Tel un fil arachnéen s’enroulant autour de nos projets et de notre respiration, la maladie, jour après jour, avalait notre vie. Lorsque je rentrais du dehors, j’avais le sentiment de pénétrer dans un caveau et j’avais froid tout le temps, un froid que rien n’apaisait au point que, les derniers temps, lorsque je dormais aux côtés de Lucien, il me semblait que son corps aspirait toute la chaleur que le mien avait pu dérober ailleurs. »
« J’étais sincère. Je m’étais depuis longtemps accoutumée à la perspective d’une vie solitaire. Être pauvre, laide et, de surcroît, intelligente, condamne, dans nos sociétés, à des parcours sombres et désabusés auxquels il vaut mieux s’habituer de bonne heure. A la beauté, on pardonne tout, même la vulgarité. L’intelligence ne paraît plus une juste compensation des choses, comme un rééquilibrage que la nature offre aux moins favorisés de ses enfants, mais un jouet superfétatoire qui rehausse la valeur du joyau. La laideur, elle, est toujours déjà coupable et j’étais vouée à ce destin tragique avec d’autant plus de douleur que je n’étais point bête. »
L’élégance du hérisson , Muriel Barbery[ 9782070391653] – 100,00Dhs.
Voyez, pour ceux qui marchent sur les routes. Il y a des époques où tous les cent pas vous trouvez un hérisson mort. Ils traversent les routes la nuit, par dizaines, hérissons et hérissonnes qu’ils sont, et ils se font écraser… Vous pensez, les veilles de foire. Vous me direz qu’ils sont idiots, qu’ils pouvaient trouver leur mâle ou leur femelle de ce côté-ci de l’accotement. Je n’y peux rien : amour pour les hérissons consiste d’abord à franchir une route…De ces hérissons écrasés, vous en voyez des dizaines qui ont bien l’air d’avoir eu une mort de hérissons. Leur museau aplati par le pied du cheval, leurs piquants éclatés sous la roue, ce sont des hérissons crevés et c’est tout. Ils sont crevés, en raison de la faute originelle des hérissons, qui est de traverser les chemins départementaux ou vicinaux sous prétexte que la limace ou l’œuf de perdrix a plus de goût de l’autre côté, en réalité pour y faire l’amour des hérissons. Cela les regarde. On ne s’en mêle pas. Et soudain vous en trouvez un, un petit jeune, qui n’est pas étendu tout à fait comme les autres, bien moins salement, la petite patte tendue, les babines bien fermées, bien plus digne, et celui-là on a l’impression qu’il n’est pas mort en tant que hérisson, mais qu’on l’a frappé à la place d’un autre, à votre place. Son petit œil froid, c’est votre œil. Ses piquants, c’est votre barbe. Son sang, c’est votre sang. — Électre (Giraudoux)
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