L’inspecteur Ali, de Driss Chraïbi

Le narrateur, Brahim, écrivain de son état, grand amoureux de sa femme écossaise, revient dans son Maroc natal après bien des années passées en France. Brahim est devenu mondialement célèbre avec le personnage de l’inspecteur Ali, hâbleur et provocateur, aussi expert en résolution d’énigmes policières qu’en analyses pertinentes et inattendues au sujet de l’Islam. Mais pour le moment, Brahim prépare à El Jadida, au milieu des siens et de ses amis, la première visite de ses beaux-parents britanniques…le choc de deux modes de vie est l’occasion d’une irrésistible galerie de portraits et d’un tableau de mœurs dont la loufoquerie n’occulte nullement la lucidité.

« C’est un écrivain arabe, la cinquantaine. Six mois après avoir envoyé son manuscrit, il se décide à aller aux nouvelles. Le PDG des Saudi Press Inc. Le reçoit avec des salamalecs, environné de visiotéléphones, de mini-ordinateurs et autres bonnes choses de la vie made in Japan.
Et il lui dit :- Quel est votre nom déjà ?
-Mohamed.
-Ah oui ! Eh bien, mon cher Mohammed, le comité de lecture a pris connaissance de votre manuscrit. Vous avez de la patte, c’est sûr. Certains passages sont poétiques, voire lyriques. Et puis, brusquement, nous tombons dans des préceptes moraux, sociaux, ça nuit au déroulement du récit. Tel qu’il se présente, je crains fort que votre livre ne se vende pas. Nous sommes au XXe siècle, mon cher. Vous ne pourriez pas le remanier un peu, de fond en comble, avec l’aide bien entendu de nos rewriters ? Et quel titre lui donnez-vous ?
-Le Coran, dit Mohammed.
L’inspecteur Ali partis d’un immense éclat de rire. Il se tenait les côtes, il en pleurait. Il s’essuya les yeux avec son grand mouchoir à carreaux et regarda le parterre de policiers saoudiens. Aucun d’eux ne s’était associé à sa gaieté.
-Tiens donc ! se dit-il. Ils sont constipés, ces mecs. »

« Nous nous étranglions de rire depuis un bon moment déjà, Jock surtout qui ne cessait de me demander : Can you translate, Archie ? Please ! Seule, Susan ne s’associait nullement à notre gaieté.
-Vous en voulez une autre, les enfants ?
-Oh oui ! répondirent-ils d’une seule et même voix.
– C’est un pauvre type gris de malheur et maigre comme un bâton brûlé. Il entre dans une pharmacie et dit : « Je voudrait dix grammes de poison. Un poison rapide et sûr. C’est pour ma femme. –Ah ? fait le pharmacien. Tu as une ordonnance du médecin ? –Non, pas d’ordonnance. Mais j’ai apporté la photo de ma femme. Tu veux le voir ? –Ouillouillle ! s’exclame le pharmacien. Ah ! ce qu’elle est moche ! Je te délivre cent grammes de poison, gratuitement… » C’est ainsi que nous arrivâmes à El Jadida, riant et chantant.
-Nice, very nice, this song, répétait Jock. Is it folklore ?
-Folklore toi-même, dit Tarik. Ferme ta bouche et chante avec nous.
J’invitai Miloud à partager notre repas et il accepta avec plaisir. Il devrait être deux heures de l’après-midi d’après la position du soleil. Plis de drapeau dans la vielle, plus une seule fleur dans le terre-plein des avenues. Même les arcs de triomphe avaient été démontés. Oui, le roi n’avait pas pu venir dans la capitale des Doukkala. »

« L’absence a-t-elle une âme ? L’attente aiguise-t-elle cette âme, lui redonne-t-elle une présence plus lancinante que la réalité ? Toute mort ne laisse-t-elle pas derrière elle le souvenir amplifié de la vie ? C’est alors que les gestes et les paroles prennent une signification, émotionnelle et assaillent, étreignent : on voudrait les entendre et les voir de nouveau, les extraire du domaine de la mémoire, les empêcher de vieillir, de rejoindre le passé. Tous sont privilégiés. Que jamais rien ne meure ! C’est alors que naît l’inspiration, à l’exacte frontière du vécu tout récent et de l’attente d’un nouveau moment privilégié. Elle supplée la réalité, lui donne une nouvelle vie. »

« Des chevilles à ma nuque montait, montait un long et lent frisson indicible, fort et ténu à la fois, impossible à définir. Le friselis gagnait mon échine, lentement, puissamment, donnait l’assaut à ce qui me restait de lucidité. Et, dans le même temps, croulait en moi tous les automnes du monde et renaissaient tous les printemps. De mon cerveau pensant ou de mon corps, qui des deux était submergé par l’inspiration créatrice – cette petite clarté qui aveuglait les mots et que j’avais en vain cherchée, patiemment, tenacement, depuis le jour où j’avais entrepris d’écrire le Second Passé simple ? Si tu ne sais pas ce qui s’est passé avant ta naissance, tu resteras toujours un enfant. Voilà la phrase clé, voilà le thème profond ! Derrière les Saddam Hussein et autres rois qui occupaient le devant de la scène, bien avant eux il y avait eu in autre personnage, considérable : le prophète Mohammed. Que oui ! Il était nos tenants et nos aboutissements, l’entendre, le comprendre- et le comprendre en cette misérable fin de siècle. Il me fallait désapprendre tout ce qu’on m’avait appris dans mon enfance, rejeter l’hagiographie, les légendes et les mythes- retrouver ma propre langue, qui n’était ni celle de ma mère ni celle de mon père. Ce fit un rêve très bref, très violant. »‘

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 Du même auteur:

Le monde à côté, 2001.

5 commentaires

  1. ادريس الشرايبي قريت ليه
    le passé simple et la civilisation ma mere
    ولكن لا ليست عندي دابا تزادت فيها كتاب جديد
    شكرا بزآآآف
    و

    J’aime

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