
C’est l’histoire d’un jeune homme vertueux qui n’arrêtait pas de payer pour les autres. il avait fait une guerre à laquelle il n’était pas convoqué pour défendre l’honneur d’un fortuné qui ne songeait qu’à le faire disparaître ; il était recherché par la police pour avoir défendu l’intégrité d’une femme qui avait abusé de son amour pour elle, et, il allait se faire lynché pour avoir protégé un bien qui n’était pas à lui. Tous ces faits de bravoure pour finir à plat ventre à l’arrière d’une charrette ! Dans quel trou d’air le ciel avait-il engrangé ses prières pour qu’il se retrouve encordé comme une bête, la tête dans un sac de jute ?… Si la loyauté était la plus noble des vertus, pourquoi poignardait-elle ses serments dans le dos ?
Le Mektoub:
« Des choses incroyables vous tombent dessus, détournent le cours de votre existence et le bouleversent de fond en comble. Vous avez beau fuir au bout du monde, vous réfugier là où personne ne risque de vous trouver, elles vous suivent à la trace comme une meute de chiens errants et font de vous quelqu’un qui ne vous ressemble en rien et qui devient la seule histoire que l’on retiendra de vous. Certains appellent ces choses mektoub. D’autres, moins déraisonnables, disent que c’est la vie. «
L’infortune des hommes loyaux :
« Cependant, il n’était pas le seul à raser les murs. Au douar, nous étions le visage d’une même infortune, tellement identiques qu’il nous était difficile de distinguer qui était de chair et de sang de qui était un fantôme. L’imam nous exhortait de prendre notre mal en patience car le Seigneur se tient aux côtés de ceux qui subissent avec courage et humilité ce qui est écrit. Il décrétait surtout que celui qui refuse son destin n’y changera pas grand-chose et que le malheur assumé mène droit au paradis. Ainsi, chacun assumait son malheur avec dévotion. Cependant la prière que nous récitions le plus souvent avant d’éteindre le quinqueté. Nous nous étions habitués à cette existence sans relief et sans attraits et nous pensions que ce serait ainsi jusqu’à la fin des temps. »
» C’est là tout ton problème, l’assimilé. Quand on a le cul entre deux chaises, on risque la fissure anale. Que tu viennes de la ville ou de la lune, t’es rien d’autre qu’un indigène, comme ils disent, un indigène apprivoisé, et t’es pas plus futé qu’une oie. »
« T’es comme dans un rêve, puis le bruit d’un chantier te rappelle à l’ordre. Tu te réveilles et tu te demandes où t’es, qu’est-ce que tu fous là, qu’est-ce que t’es venu chercher ? T’as vu les Champs-Élysées et la tour Eiffel, t’as vu Montmartre et ses brasseries, t’as vu la Seine et ses badauds, t’as vu les putains et les fêtes foraines, t’as fait le tour et tu reviens à la case départ : qu’es-tu venu chercher si loin de chez toi ? Alors tu bosses comme un âne pour t’abrutir afin de ne pas te poser de questions… Au début, ouais, tu te contes fleurette et tu te forces à y croire. Mais il faut bien qu’à un moment tu arrêtes de te mentir, pas vrai ? Tu admets, au bout du compte, que t’es pas du tout dans ton élément. Tu le sens, putain, t’es dans tes p’tits souliers. Quand t’as rien à foutre, tu ne vas pas à Montmartre, tu ne vas nulle part. Quand t’as rien à foutre, c’est que ton moral est à plat. Tu prends un banc public, tu regardes passer le temps et le temps ne te voit pas. Tu ne comptes ni pour les heures ni pour les jours. Tu espères que le temps t’apporte quelque chose, et il ne t’apporte que dalle. Ce qui est le plus dur, c’est qu’tu sais même pas ce que tu attends que le temps t’apporte. T’es largué, et c’est tout. Tu te lèves à l’aube, tu trimes comme une bête puis tu réintègres ton trou à rat et tu te chamailles avec tes doutes. Tu n’arrives pas à fermer l’œil à cause des tas de questions qui te bouffent la cervelle. Qu’est-ce que t’as loupé ? Qu’est-ce qui ne va pas ? À la longue, tu commences à perdre la boule. Alors, tu entasses tes fripes dans une valise et tu cours à la gare, puis au port. Et te revoilà au bled… Pourquoi j’suis rentré ? Je me le demande encore. »