Monsieur le fonctionnaire de 50 ans est le chef du bureau de la dératisation de la ville. Il passe sa journée à établir des plans rigoureux pour décimer les 5 000 000 rats. Ses dosages de poison sont célèbres auprès des spécialistes de la toxicozoologie et de cet art de la mixtion il y va de la tranquillité et la prospérité économique de la ville. Notre expert maitrise la psychologie du comportement des rats mais il ne veut pas tenir des discours qui pourraient être interprétés comme une tentative de politisation d’un phénomène zoologique. A part ses émois, il n’a rien à cacher.

Ripoliné de l’intérieur, Impeccable de l’extérieur :« A l’intérieur de moi-même, c’est encore plus aseptisé, surtout depuis que j’ai éliminé la viande. Elle est d’ailleurs trop chère. A L’INTERIEUR DONC: ACIER: Silence. Repli. Le gris, couleur neutre par excellence, domine. Je suis rutilant et seul. Il m’arrive d’être atteint par un immense bonheur. C’est rare. Tous les progrès que je réalise dans la destruction des rats sont inutiles. la population se multiplie avec frénésie et l’exode rural gâche tout. L’espace vital des hommes se rétrécit. Les structures se bloquent. Les ordures augmentent selon une progression géométrique. Tout est brillant dans mon bureau où je garde des statistiques qui sont de vrais secrets d’Etat. C’est pourquoi j’aime les mots courts et le thé à la menthe. «
L’Émoi comme faiblesse : « Les harangues me laissent froid. Quand il m’arrive de lire un discours-fleuve je me rends compte que les politiciens sont des hommes seuls. Comme moi! Je les trouve sympathiques. Juste le temps de réaliser qu’une différence nous sépare. Je revendique ma solitude. Eux, veulent y échapper. La preuve: les discours-fleuves et les bains de foule! Surtout quand ils sont haïs. J’en ai alors pitié. Je les plains. ils ne m’intéressent pas d’ailleurs. Je n’ai pas le temps. Les rats ne me donnent pas de répit. Où ai-je lu que dans une grande ville, ils consommaient cinq cents tonnes d’aliments pas jour? J’ai dû le noter sur un bout de papier et le transcrire sur une fiche à la rubrique: méfaits économiques. Facile à vérifier. Mon fichier est à jour. Mes petites écritures ne restent jamais plus de vingt-quatre heures dans mes poches. Il m’arrive de m’embrouiller mais je rétablis vite la situation. Clarté évidente. Il faut dire qu’avec le nombre de poches que j’ai, ce n’est pas une petite affaire que de m’y retrouver. Une vingtaine en moyenne. Hiver comme été. Plus une poche secrète que je change de place au gré des fluctuations humaines. On ne sait jamais. Méfiance. C’est la seule chose que j’ai héritée de mon père. Avec la fragilité des poumons. C’est la poche de mes émois intimes. Je les contiens. Mais ils débordent. Surtout en automne. En cette saison, la lumière bulle dans mon cerveau. »
Le Vendredi est un jour Volubile: « Si j’arrive à mes fins, je serai peut-être proclamé fonctionnaire exemplaire et cité dans les manuels scolaires. Mais là, je fabule. Je me laisse aller à des considérations trop optimistes. Par contre, je maintiens que l’avenir de la dératisation réside dans les hormones sexuelles et les moyens que l’on doit utiliser pour faire baisser la production chez les rongeurs. d’ailleurs, cette campagne de propreté que les autorités municipales veulent lancer va couter beaucoup d’argent. Elles feraient mieux de le verser au budget du centre de dératisation… C’est vendredi. Jour de prière. Si le coût de la nouvelle mosquée m’obsède, c’est que j’ai donné de l’argent pour son édification. Tous les gens du quartier l’ont fait. Je ne pouvais pas refuser. J’ai même donné l’exemple. J’ai fait du zèle pour être bien vu par mes supérieurs puisque la liste des généreux donateurs a été publiée dans tous les journaux de la ville. Toutes mes économies y sont passées. Pour l’usage que je vais faire de cette mosquée! enfin. »
La prime de célibat: « Je suis célibataire. je ne m’occupe que de moi-même. On devrait me verser une prime de célibat, car les fonctionnaires pères de familles nombreuses ne sont pas rentables. Ils sont dévorés par leurs obligations familiales alors que moi je consacre toute ma vie à ceux qui m’emploient. Il m’arrive de perdre du temps dans les toilettes, mais c’est extrêmement rare. Une ou deux fois, à raison de trois minutes. Mais si je décris ce que je fais dans les toilettes, je n’aurai jamais le courage de me lire. Il vaut mieux ne pas trop insister. Malgré ce défaut bi-annuel, je ne profite pas des autorités municipales. Bien au contraire! Inutile de laisser le calendrier dans cette position. Il ne sert à rien. Aujourd’hui je ne reçois personne. pas la peine de délimiter mon territoire. Solitude du matin. Le soir sera pareil. Avec les pollutions nocturnes, les rares pratiques solitaires sont une honte insupportable et supplémentaire. Je n’en joins que les jours où je me sens abandonné par tous, haï par tous et agressé de toutes parts. Inutile de tracer mes frontières. Les rats, eux , le font avec leur urine. Chaque clan a les siennes. Si elles sont transgressées par un individu, c’est la guerre généralisée. »
L’escargot: « J’ai passé la matinée à regarder des planches représentant l’accouplement des escargots. J’en suis encore malade. Ce projet m’obsédait depuis le jour où j’ai compris le manège du gastéropode. Mais je ne voulais pas ouvrir un livre consacré à cette engeance. J’avais peur de donner trop d’importance à un animalcule issu d’un sous-ordre des stylommatophores. Avant tout, un mollusque. J’ai fini par me décider. Ce fut horrible. Un hermaphrodite accompli qui se pâme pendant trois ou quatre heures. Quel dégoût. Les planches étaient insoutenables. Tant de viscosité et de volupté. A la fois mâle et femelle. il donne et il reçoit, en même temps, une quantité de plaisir inimaginable. Pulmoné, par dessus le marché. Un écoeurement total ».