Le suppléant

Harry?! c’est le sale gosse de la famille royale. Cette expression est devenue le ressac dans lequel il se débattait pour ne pas se noyer, le vent contraire auquel il était constamment exposé, le jugement quotidien auquel il ne pouvait pas se dérober. Il ne voulait pas être le sale gosse. Il voulait être noble. Il voulait être quelqu’un de bien, travailler dur, grandir et donner un sens à sa vie. Mais à la moindre faute, au moindre faux-pas, au moindre revers, ils revenaient à la charge avec cette même vieille étiquette, les mêmes condamnations publiques, tant et si bien que le monde entier a fini par tenir pour acquis qu’il était, intrinsèquement, un sale gosse.

J’ai pris conscience à ce moment-là que l’identité obéissait à une hiérarchie. Nous sommes essentiellement une chose, puis essentiellement une autre, avant d’être une autre encore et ainsi de suite, jusqu’à la mort–successivement. Chaque nouvelle identité occupe le trône du Moi, mais nous éloigne de notre moi d’origine, peut-être le plus essentiel–l’enfant. Oui, nous évoluons, nous gagnons en maturité, et c’est le chemin vers la sagesse, naturel et sain, mais il y a dans l’enfance une pureté qui se dilue chaque fois un peu plus. Elle est grignotée, comme ce bloc d’or. 

« J’avais l’impression d’avoir été engraissé pour l’abattoir. Allaité comme un veau. Je n’avais jamais demandé à être financièrement dépendant de papa. On m’a forcé à me placer dans cette situation surréaliste, ce Truman Show sans fin dans lequel je n’avais presque jamais d’argent sur moi, je n’ai jamais possédé de voiture, je n’ai jamais eu les clés d’une maison dans ma poche, je n’ai jamais rien commandé en ligne, je n’ai jamais reçu le moindre colis d’Amazon, je n’ai presque jamais pris le métro. (Une seule fois, à Eton, lors d’une sortie au Théâtre.) Les journaux m’ont surnommé le parasite. Mais il y a une énorme différence entre être un parasite et se voir dénié le droit d’apprendre à être autonome. Après des décennies pendant lesquelles on m’a méticuleusement et systématiquement infantilisé, on me livrait à moi-même, de but en blanc, et on se moquait de mon immaturité ? Parce que je n’étais pas indépendant ? »

« J’ai pris conscience à ce moment-là que l’identité obéissait à une hiérarchie. Nous sommes essentiellement une chose, puis essentiellement une autre, avant d’être une autre encore et ainsi de suite, jusqu’à la mort–successivement. Chaque nouvelle identité occupe le trône du Moi, mais nous éloigne de notre moi d’origine, peut-être le plus essentiel–l’enfant. Oui, nous évoluons, nous gagnons en maturité, et c’est le chemin vers la sagesse, naturel et sain, mais il y a dans l’enfance une pureté qui se dilue chaque fois un peu plus. Elle est grignotée, comme ce bloc d’or. »

« Des flashs. C’étaient les flashs d’appareils photo. Et, au milieu de ces flashs, la trace fantomatique de visages, et de moitiés de visages – ceux des paparazzis, réfractés et démultipliés a l’infini sur toutes les surfaces métalliques et les vitres. Ces hommes qui l’avaient prise en chasse… Ils n’avaient pas cessé de la mitrailler alors même qu’elle gisait là, entre les sièges, inconsciente, ou à demi consciente, et dans la frénésie, ils s’étaient pris en photo les uns les autres par mégarde. Aucun d’entre eux ne semblait se préoccuper d’elle, chercher à lui porter secours, ou même à la réconforter tout simplement. Ils n’avaient qu’un seul objectif : la mitrailler, encore et encore. »

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