Le Dérèglement du monde d'Amin Maalouf Grasset, 2009 ISBN : 9782253129974 – 314 pages – 6,50 €
Nous sommes entrés dans le nouveau siècle sans boussole. Dès les tout premiers mois, des événements inquiétants se produisent, qui donnent à penser que le monde connaît un dérèglement majeur, et dans plusieurs domaines à la fois dérèglement intellectuel, dérèglement financier, dérèglement climatique, dérèglement géopolitique, dérèglement éthique…L’humanité aurait-elle atteint son seuil d’incompétence morale ? Pour Amin Maalouf, le dérèglement du monde tient moins à « une guerre des civilisations » qu’à l’épuisement simultané des civilisations, et notamment des deux ensembles culturels dont il se réclame, l’Occident et le monde arabe. Le premier, peu fidèle à ses propres valeurs ; le second, enfermé dans une impasse historique.
Sur les victoires trompeuses : « Lorsqu’un incident grave se déroulait dans un village, il fallait souvent des semaines pour que le reste du pays en entende parler, ce qui en limitait les répercussions. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Une déclaration maladroite, prononcée à midi, peut servir de prétexte à une tuerie le soir même, et à dix mille kilomètres de là. Parfois c’est une fausse rumeur, répandue par malveillance ou en raison d’un malentendu, qui déclenche les hostilités ; quand on apprend la vérité, il est déjà trop tard, les cadavres emplissent les rues. Je songe à des événements précis survenus au cours des dernières années, non seulement en Irak, mais également en Indonésie, en Egypte, au Liban, en Inde, au Nigeria, au Rwanda, comme sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie…Ce qui est en cause, c’est le fossé qui se creuse entre notre rapide évolution matérielle, qui chaque jour nous désenclave davantage, et notre trop lente évolution morale, qui ne nous permet pas de faire face aux conséquences tragiques du désenclavement. Bien entendu, l’évolution matérielle ne peut ni ne doit s’accélérer considérablement, c’est elle qui doit s’élever, d’urgence, au niveau de notre évolution technologique, ce qui exige une véritable révolution dans les comportements. »
Sur les légitimités égarées : « Chaque Arabe porte en lui l’âme d’un héros déchu, et une velléité de revanche sur tous ceux qui l’ont bafoué. Si on la lui promet, il tend l’oreille, avec un mélange d’attente et d’incrédulité. Si on la lui offre, même partiellement, même sous forme symbolique, il s’enflamme. Nasser avait demandé à ses frères de relever la tête. En leur nom, il avait défié les puissances coloniales ; en leur nom, il avait affronté l’ « agression tripartite » ; en leur nom, il avait triomphé. Ce fut instantanément le délire. Des dizaines de millions d’Arabes ne voyaient plus que lui, ne pensaient qu’à lui, ne juraient que par lui. On était prêt à le soutenir contre le monde entier, quelquefois même à mourir pour lui. Et, bien entendu, à l’applaudir sans lassitude et à scander son nom, les yeux fermés. Quand il remportait des succès, on le bénissait ; quand il subissait des revers, on maudissait ses ennemis. »
Sur les certitudes imaginaires : « Considérer la culture comme un domaine parmi d’autres, ou comme un moyen d’agrémenter la vie pour une certaine catégorie de personnes, c’est se tromper de siècle, c’est se tromper de millénaire. Aujourd’hui, le rôle de la culture est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur permettront de survivre rien de mons. Ces dizaines d’années additionnelles dont la médecine nous fait cadeau, comment allons-nous les meubler ? Nous sommes de plus en plus nombreux à vivre plus longtemps, et mieux ; forcément guettés par l’ennui, par la peur du vide, forcément tentés d’y échapper par une frénésie consommatrice. Si nous ne souhaitons pas épuiser très vite les ressources de la planète, il nous faudra privilégier autant que possible d’autres formes de satisfaction, d’autres sources de plaisir, notamment l’acquisition du savoir et le développement d’une vie intérieure épanouissante. »
Faut que je l’achète celui-là.
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